Le Livre qui fait mourir by Noëlle Roger

Le Livre qui fait mourir by Noëlle Roger

Auteur:Noëlle Roger [Roger, Noëlle]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Fantastique-Science-Fiction-Anticipation, Littérature suisse romande et des régions voisines, 20e
Éditeur: Bibliothèque numérique romande
Publié: 2024-01-29T00:00:00+00:00


* * *

L’express de Bordeaux passe à sept heures du matin à Château-l’Évêque, – quatorze kilomètres des Biarts.

J’étais debout à cinq heures. Je sortis l’auto, vérifiai le réservoir d’essence et j’appelai Pierre.

— As-tu réveillé monsieur Dorillac ?

— Mais oui, monsieur. Je vais aller lui porter son déjeuner. Jeanne vient justement de monter celui de mademoiselle, qui voulait terminer des emballages…

Pourquoi ces insignifiants détails se sont-ils gravés dans mon esprit ?

J’ai suivi Pierre à la cuisine et j’aperçus, sous le manteau de la cheminée, la silhouette d’un petit vieux, tout sec, tassé dans une ample pèlerine sombre où s’éparpillaient ses mèches blanches, et qui semblait attendre très humblement.

— Que veut-il donc, celui-ci ? demandai-je à Pierre.

— Monsieur sait bien que c’est aujourd’hui le marché de Brantôme… répliqua-t-il avec un ton de blâme respectueux.

Ah oui ! Le jour de marché… le défilé des charrettes le long de la route dont notre maison domine les courbes, le défilé des paysans à la cuisine. Ils laissent l’attelage au bord de la chaussée, prennent le raide sentier qui coupe les lacets, et viennent apporter leurs œufs, leurs fruits, leur volaille, tout en acceptant un verre de vin.

J’ai coutume de taquiner ma mère lorsque je les vois ainsi attablés près des fenêtres d’où ils surveillent de haut leur cheval :

— Nous faisons concurrence à l’auberge du Pont !

— Tenez, en voici qui montent encore, dit Pierre, bourru. On n’a guère le temps de s’occuper d’eux, ce matin.

Il préparait le plateau de Dorillac, la cafetière d’argent qui luisait sur un coin du fourneau, le pot à lait, et continuait de marmotter :

— Celui-ci voulait un bout de corde pour réparer le timon de sa carriole. Je lui ai donné une tasse de café.

Je ne sais vraiment pas pourquoi j’ai demandé à Pierre :

— Tu le connais ?

— Oh ! fit-il en haussant les épaules, il m’a dit venir de très loin, du côté de Lisle. On en voit tant passer par ici…

Le petit vieux s’était levé, et tout courbé dans la pèlerine qui lui battait les talons, traînant les pieds sur les dalles, il traversa la cuisine, remercia très poliment et disparut.

— Tiens ! comme il court ! dit Pierre à la fenêtre. Il n’était pas si pressé tout à l’heure…

Je regardai ma montre avec impatience, sans plus songer à ce passant.

— Dépêche-toi donc ! Bientôt cinq heures et demie.

Elle ne fut pas gaie, notre dernière course en auto… Dorillac avait perdu tout son entrain. Il semblait accablé de regrets. Et sur son visage où l’enthousiasme ne brillait plus, la vieillesse prenait une revanche inexorable, accusant les plis, creusant les orbites, boursouflant les paupières. Une veine violacée se gonflait sur sa tempe plus jaune qu’un ivoire ancien. Marie-Blanche se taisait à côté de lui.

Il ne regardait rien du paysage : les bois qui portaient jusqu’au bord de la route leurs bruyères en fleurs, les collines blondes, ce tendre azur matinal déployé jusqu’à l’horizon, tout s’était éteint autour de lui.

J’avais le sentiment qu’il m’en voulait d’étouffer l’affaire du



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.